Les prix des biens échangeables sont remarquablement insensibles aux mouvements des taux de change. Cette colonne fournit une explication au niveau de l’entreprise. En réponse à une dépréciation, les entreprises performantes augmentent leurs marges plutôt que leurs volumes d’exportation, et leurs choix dominent les variables agrégées des exportations.
Ce mois-ci, le dollar a atteint son plus bas niveau depuis 14 mois sur une base pondérée en fonction des échanges. Cette faible valeur augmentera le coût des importations et les prix à la consommation aux États-Unis et devrait donc réduire les importations américaines. Parallèlement, l’euro a atteint des niveaux très élevés par rapport au dollar américain et aux autres devises, ce qui devrait nuire aux exportateurs européens. De combien?
Les preuves existantes suggèrent que l’effet devrait être faible. Même les mouvements importants des taux de change nominaux et réels ont peu d’impact sur les variables agrégées telles que les prix des importations, les prix à la consommation et les volumes des importations et des exportations. Le manque de sensibilité des prix aux mouvements des taux de change a été bien documenté ; les prix des biens échangeables réagissent de manière incomplète aux variations des taux de change – sensiblement moins que proportionnellement à la variation du taux de change. Une explication possible est que les prix sont rigides dans la devise du marché d’exportation. Cependant, Campa et Goldberg (2005) montrent que la répercussion incomplète des variations du taux de change sur les prix des importations est loin d’être un phénomène de court terme, puisqu’il persiste après un an. Cela suggère que les rigidités des prix ne peuvent pas entièrement expliquer ce phénomène. De plus, Gopinath et Rigobon (2008) ont récemment montré, en utilisant des données au niveau des produits, que même sous réserve d’une variation de prix, la répercussion du taux de change pondéré par les échanges sur les prix des importations américaines est faible, à 22 %. Il existe également des preuves que la transmission a diminué avec le temps.
Si la répercussion des mouvements des taux de change sur les prix des importations est faible, il n’est pas surprenant que les mouvements des taux de change aient un faible effet sur les volumes des échanges. Les macro-élasticités typiques trouvées par la littérature empirique sont en effet autour de l’unité ou juste au-dessus.
Une explication au niveau de l’entreprise
Qu’est-ce qui se cache derrière cette absence de réponse des prix et des quantités aux taux de change ? Dans un article récent (Berman, Martin et Mayer, 2009), nous essayons de répondre à cette question sous l’angle des exportateurs. La majeure partie de la littérature sur la répercussion s’est concentrée sur les prix à l’importation et les prix à la consommation et une autre série d’articles a examiné l’impact des mouvements des taux de change sur les importations ou les exportations globales.
Nous allons beaucoup plus en détail en rassemblant des informations sur les exportations au niveau des entreprises par les entreprises françaises pour être confrontées aux prédictions des nouveaux modèles commerciaux, où les différences entre les entreprises entraînent des effets macro-économiques. L’analyse de la réponse des exportateurs aux variations des taux de change permet de mettre l’accent sur l’hétérogénéité de la réponse optimale des exportateurs aux variations des taux de change.
Nous montrons théoriquement et empiriquement que les entreprises performantes et peu performantes réagissent très différemment aux variations des taux de change. La performance peut être interprétée en termes de productivité ou en termes de qualité des biens produits. Suite à une dépréciation, les entreprises performantes augmentent de manière optimale leur marge plutôt que le volume qu’elles exportent, tandis que les entreprises peu performantes choisissent la stratégie inverse.
Une autre façon d’exprimer ce résultat est que les entreprises performantes absorbent les fluctuations des taux de change dans leurs marges, mais pas les entreprises peu performantes. En effet, du fait des coûts de distribution locaux, l’élasticité de la demande perçue par les firmes performantes est inférieure à celle perçue par les firmes peu performantes.
Comprendre le pass-through agrégé
Cette hétérogénéité est une découverte nouvelle, mais elle est également intéressante car elle a des implications importantes pour l’effet global des mouvements des taux de change. L’établissement des prix par rapport au marché est optimal pour les entreprises performantes, précisément celles qui sont plus susceptibles d’être des exportateurs. Dans notre modèle, dans l’esprit de Melitz (2003), les coûts d’exportation fixes génèrent un mécanisme de sélection par lequel seuls les plus performants sont capables d’exporter. De plus, l’hétérogénéité de la productivité implique qu’une petite partie des entreprises performantes vendent une très grande part des exportations globales. Ainsi, les exportateurs, et a fortiori les gros exportateurs, sont, par cet effet de sélection, les firmes qui choisissent de façon optimale d’absorber les mouvements de change dans leurs marges.
La dépréciation du taux de change déclenche également l’entrée de nouvelles entreprises sur le marché d’exportation, mais celles-ci sont moins productives et plus petites que les entreprises existantes, de sorte que l’effet « marge extensive » est faible au niveau agrégé. Nous montrons que notre modèle, avec une hétérogénéité suffisante de la productivité, peut effectivement reproduire le faible niveau observé de l’élasticité des marges intensives et extensives du commerce aux mouvements du taux de change.
Nous testons ces prédictions sur un ensemble de données très riche au niveau des entreprises françaises. Nous avons collecté auprès des douanes françaises des informations sur les valeurs et les volumes d’exportation au niveau de l’entreprise et spécifiques à la destination, ainsi que d’autres informations sur les performances des entreprises à une fréquence annuelle sur la période 1995-2005 afin de pouvoir exploiter les variations entre les années et les destinations. Un grand avantage de notre ensemble de données est que nous disposons d’informations qui peuvent représenter le prix franco à bord au niveau du producteur/destination. On peut donc étudier l’impact des dépréciations du change sur la stratégie de prix des exportateurs. Notre article complète donc les études existantes sur la tarification au marché et la répercussion à l’aide d’informations qui représentent les stratégies de tarification des exportateurs par le biais des prix à l’importation (qui contiennent les coûts de transport) ou des prix à la consommation.
Preuves empiriques
Nous constatons que les entreprises dont les performances (mesurées par la PTF, la productivité du travail, la taille des exportations, le nombre de destinations) sont supérieures à la médiane réagissent à une dépréciation de 10 % en augmentant leur prix à l’exportation (spécifique à la destination) en euros d’environ 2 %. En revanche, les entreprises dont la performance est inférieure à la médiane ne modifient pas les prix à l’exportation en réaction à une variation du taux de change. Par conséquent, seuls les plus performants adaptent partiellement le prix au marché et absorbent partiellement les fluctuations des taux de change dans leurs marges. Sur les volumes d’exportation (encore une fois spécifiques à la destination), l’inverse est vrai ; les volumes d’exportation des plus performants ne réagissent pas aux mouvements des taux de change, tandis que les moins performants augmentent leurs volumes d’exportation d’environ 6 % en réponse à une dépréciation de 10 %. Les coûts de distribution jouent en effet un rôle important. Suite à une dépréciation, les exportateurs français vendant dans des secteurs et des pays à coûts de distribution élevés choisissent d’augmenter leur marge plutôt que leurs volumes d’exportation. Les coûts de distribution sur le marché de destination modifient donc la stratégie de prix des exportateurs vers plus de prix au marché. Enfin, l’effet de sélection souligné ci-dessus s’observe également dans les données. Dans les secteurs où les exportations sont plus concentrées parmi les entreprises très productives – celles qui absorbent les variations des taux de change dans leurs marges – les exportations globales sont les moins sensibles aux variations des taux de change.
Nos recherches montrent que l’exportation, parce qu’elle nécessite des performances élevées, va de pair avec l’absorption des mouvements de change dans les prix. Le peu d’impact des taux de change sur les prix des importations et le volume des échanges est donc une conséquence naturelle de cet effet de sélection.